10 h 15. Je me réveille douloureusement engourdi, le cou raidi pour
avoir dormi 45 min sur une pauvre chaise de plastique usé. Désorienté, je
me tourne vers ma douce et je me demande où l’on est. Ah oui, Ste-Justine.
Merde, ce n’était pas un mauvais rêve : nous rencontrerons bientôt un
généticien.
Nous avons
été contactés la semaine précédente pour nous avertir que le prénatest s'est
conclu avec 1 « chance » sur 291 que notre enfant soit trisomique.
Wow, quelle chance! On parle de mon enfant qui, la veille de cette nouvelle,
nous avons choisi le prénom en sachant son sexe. 5 semaines se sont écoulées
entre le prénatest et l’appel de la gynécologue. Une éternité dans une
grossesse lorsqu’on se dit que tout va bien.
Dans le regard de ma douce, je vois bien l’angoisse entassée qui tente tout
pour ne pas exploser. Elle ne comprend pas comment j’ai fait pour dormir, ici,
dans ce moment d’attente insoutenable.
Simple, se lever à 5 h du matin, moi, ça m’épuise. Surtout quand le
tourment m’a tenu réveillé toute la nuit à l’issue de cette rencontre. J’affiche
mon air détendu et calme, mais mon esprit tourbillonne alors que ma morale
change d’avis aux 10 min. Gardera ou gardera pas le bébé, telle est la
question.
schéma d'amniocentèse... la seringue n'est pas à l'échelle!! |
Toujours « certain » que cette probabilité était infime, on souhaitait
tous deux sortir rassurés de cette rencontre informative. Au contraire, nous
voilà encore plus débités avec toutes les autres sortes de maladies et de trisomies indétectables. On pensait, à tort, qu’à Ste-Justine, ils sauraient
effectuer des tests plus précis pour éloigner cette issue. Pourtant, ils font
les mêmes vérifications, avec les mêmes outils, avec du personnel aussi
qualifié. Après une simple échographie, dans une salle de la grosseur d’un garde-robe,
on attend patiemment dans la salle d’attente et on doit discuter de la suite
des choses. Réfléchir particulièrement si on veut prendre le pari, à 1 contre
200, de « tuer » notre garçon lors d’une amniocentèse qui statuerait
si on est le malchanceux couple sur 291. J'ai jamais été un gros fan de la roulette russe.
Moi, j’avais besoin de dormir. Trop de chiffres, de statistiques et de
probabilités. Et débattre mes opinions à côté d’autres futurs parents, tous
aussi embêtés, me tracassait. On traversera le pont lorsqu’on y sera. Optimisme
Power. Et les petits bambins handicapés qui nous entouraient me gênaient.
Impossible d’émettre tout haut l’idée d’avorter afin d’éviter leur triste sort :
« Tiens chérie, veux-tu vraiment avoir un enfant comme ça?! »
Quatre chaises à notre gauche, un couple s’avérait encore moins, ou plus,
chanceux. L’homme tentait de se la jouer cool avec sa femme avec sa mince
probabilité de 1 sur 75. Difficile de les ignorer, on faisait semblant de ne
pas écouter en fixant le plancher. Et enfin, après 1 h 30 à s’aplatir
les fesses, c’est notre tour. À cet instant, l’estomac veut recracher mon
croissant de cafétéria pour détourner l’attention, mais je réussis à le
contrôler. Je me dois d’être fort, car je sens ma blonde fragile comme un
pissenlit automnal à l’aube d’une bourrasque.
Et ce n’est pas la première phrase de la généticienne qui aide à nous
apaiser : « Désolé du délai, c’est que j’ai demandé des tests plus poussés
au labo avant de vous rencontrer. » Mon cœur palpite au rythme de « fuck, fuck, fuck, non, non, non,
merde, merde... » Ça y est, je vais craquer. Je sens le torrent d’émotions
venir. Et avant ma blonde en plus, elle qui semble totalement absente.
« En fait, ça fait déjà un bout que j’ai votre dossier, mais je me
posais des questions sur certaines choses et j’espérais avoir un appel du lab
avant de vous voir. Je ne voulais plus vous faire patienter davantage… »
Driiiiing. Non, pas vrai. Interrompu par le téléphone!
Ils font exprès!
Dites le bordel de merde si, oui ou non, nous devons fondre en larmes ou pas! Nous sommes sur le bout de nos chaises à tenter de deviner ce que le
technicien lui dit. Rien n’y fait et le chiffre qu’elle gribouille me rend d’autant
plus confus.
« Bon, désolé encore pour le délai, il fallait que je le prenne. »
You bet ma grande! Je réfléchis fort et me m’accroche à ma chaise pour ne
pas la brusquer. Elle continue, lentement :
« C’était justement ce que j’attendais. Les chiffres ont drastiquement
changé. »
« Drastiquement », c’est bon ou c’est mauvais? Mais va telle
finir par le dire...
— Le chiffre est plus petit, qu’elle annonce neutre.
— Euh, pour être clair, c’est positif? Dans le sens qu’il y a moins ou plus
de chance? dis-je, plutôt embrouillé.
— Oui, oui! C’est une fraction, donc plus chiffre petit, comportant moins
de risques. Vous êtes passés à 1/4150.
— QUOI!? Comment est-ce possible?
— Bien, vous devez savoir que ce chiffre est le résultat de plusieurs facteurs :
âge, l’hérédité et la clarté nucale. Et cette dernière donnée n’avait pas été
calculée initialement. Pourtant le document est dans votre dossier, mais pour
une raison qui m’échappe, le technicien au laboratoire ne l’avait pas entré dans
l’équation. Je ne peux rien garantir, mais la probabilité est beaucoup plus encourageant... disons.
Dison que j’ai envie de pleurer, de soulagement.
Les larmes voguent sur mes cils, mais résistent à la pensée qu’un
idiot a commis une lourde bourde. Je devrais être en tab$@(), mais tout ce qui
nous tente, c’est sortir de cet hôpital et ne plus jamais y revenir!
La vie est belle, ma blonde
rayonne à nouveau avec son ventre bien garni et on garde le cap sur l’optimisme.
Ça me rappelle que parfois, mieux vaut ne pas tout savoir et s’imaginer le
meilleur pendant 9 mois.
Fuck les probabilités!
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